par Marie Garraut, historienne de l’art
Le velouté du trait et la douceur qui émane de ces dessins ne me permettent pas d’oublier un seul instant qui tient le crayon. Le trait, discret mais sûr, me rappelle des perspectives italiennes tracées a fresco sur un pan de mur oublié. Prégnant, l’air de rien.
Le caractère ouaté rappelle le pastel et se conjugue sans heurt ni contradiction à la précision du stylo, proche de celle de la gravure à l’eau-forte. Il enveloppe ces scènes de la vie quotidienne comme une sourdine agit sur un instrument de musique. Il en atténue l’intensité sonore et les aigus, en modifie un peu le timbre, mais sans toucher au phrasé.
Ces « séquences urbaines » comme nous voudrions les appeler, ont un air de déjà-vu mais témoignent d’un sens de l’observation, à laquelle nous sommes doucement contraints. L’auteur nous apprend qu’elles n’ont pas été réalisées « sur le motif », mais d’après photographie. Le motif, géométrique en particulier, est pourtant un caractère essentiel de ces dessins. Le prisme régulier et scandé de la grille, de la brique, du parquet, s’appose sur la perception du monde par l’auteur.
L’importance du cadre, omniprésent dans ces dessins jusqu’à son inscription en toutes lettres dans le mot « FRAMES » qu’on peut lire, telle une mise en abyme, sur une façade de l’un d’entre eux, est-elle à mettre au compte de ce passage par la photographie ? Ou faut-il y voir la traduction directe de la fameuse formule du renaissant Leon Battista Alberti comparant la peinture à une fenêtre ouverte sur le monde, sur l’histoire, celle de notre temps ? « Je trace d’abord sur la surface à peindre un quadrilatère (…) qui est pour moi une fenêtre ouverte par laquelle on puisse regarder l’histoire » (Alberti, De pictura).
Mais quel est ce monde que Maud observe ? Urbain, architectural, moderne (au sens de la vie moderne). Bien que l’architecture soit omniprésente, tant dans les sujets que dans leur traitement, ces dessins n’ont pour autant rien de la monumentalité ni de la rigueur des dessins d’architecture. Si l’homme semble au premier regard peu représenté dans cette série, il est constamment là. Que ce soit à travers ses réalisations (architecturales, techniques, spirituelles), ses motifs décoratifs (grille, ogive) son alphabet, et même son ombre ; il est tapi derrière ce monde qu’il a pour un instant, celui de la photographie, déserté.
Nous parlions plus haut de sourdine. Ce monde serait-il silencieux comme un paysage de neige ? La lumière qui enveloppe certaines de ces scènes (les intérieurs du café et de l’église en particulier) nous invite à faire le rapprochement. Discret mais lumineux, voilà l’apparent paradoxe qui émane des dessins de Maud.
Le sens de l’observation dont témoignent ces planches, loin d’être froid, est au contraire empreint d’un certain lyrisme. Un lyrisme du quotidien, modeste, semblable à celui que l’on trouve dans la poésie moderne. Le temps est-il suspendu, figé dans ces cadres ? Nous voyons dans ces dessins davantage un ancrage puissant dans le temps présent, auquel nous, observateurs, sommes confrontés. Une façon pour nous d’accompagner la promeneuse solitaire dans ses rêveries…